CADRE THEORIQUE

 

 

 

 

LA REPRESENTATION

 

 

 

Dans un premier temps nous rappellerons la théorie de la Représentation, puis nous esquisserons, dans une pragmatique de la Représentation, la place de cette notion dans la compréhension de la réalité sociale, avant de l’appliquer au domaine de notre étude.

 

 

THEORIES DE LA REPRESENTATION

 

 

PRESUPPOSES THEORIQUES

 

 

La notion de « représentation » prend naissance principalement au sein de deux théories que nous allons rapidement évoquer dans leurs grandes lignes : la Théorie de l’Information et la Théorie de la Perception.

 

 

1.       LA THEORIE DE L'INFORMATION

 

Rappelons d’abord le schéma de la communication qui sert de cadre à la notion de représentation. SHANNON a défini les termes d'une communication linéaire, du transport d'un message, d'une information, dans le schéma connu :

 

source  ---

---        émetteur      ---

--- voie ---

---        récepteur      ---

---   destinataires

             (encodage)

 

         (décodage)

 

Dans ce schéma nous portons notre attention sur la liaison entre les opérations d'encodage et celles de décodage qui assurent la fiabilité d'une "bonne" communication.

 

JAKOBSON (1963) développera cette analyse dans son schéma tout aussi célèbre:

 

 

 

REFERENT

(fonction référentielle)

 

 

l

 

              EMETTEUR             ------

-------             MESSAGE             -------

(fonction poétique)

-------       RECEPTEUR

(fonction expressive)

I

(fonction conative)

 

CODE

(fonction métalinguistique)

 

 

 

Ces fonctions dévoilent le mécanisme propre de la communication. Ainsi du point de vue de l'émission : comment parle-t-on de l'objet de discours ? quelle stratégie est adoptée pour capter l'attention ? quelle culture sert de "lieu commun" aux interlocuteurs ? quels langages sont utilisés ?

 

KERBRAT-ORECCHIONNI (1980), linguiste lyonnaise, a complété ce schéma pour parvenir à mieux préciser l'acte d'énonciation, c'est-à-dire la mise en acte particulier par un locuteur d'un énoncé qui pourrait être quelconque. Elle situe l'acte de communiquer dans son contexte social et culturel. Ses études de pragmatique du langage portent sur les indices littéraires des conditions de la communication : la connotation, la subjectivité dans le langage, l'implicite.

 

 

 

 

 

REFERENT

 

 

 

 

sa langue

culture

psychologie

 

 

 

sa langue

culture

psychologie

 

EMETTEUR

ENCODAGE

MESSAGE

DECODAGE

RECEPTEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

CANAL

 

 

 

 

contraintes dues

au canal et à la situation

 

 

contraintes dues

au canal et à la situation

 

 

MODELE DE PRODUCTION

 

MODELE D'INTERPRETATION

 

 

 

Le transport d'information s'effectue par le langage, par le geste…, au sein de groupes sociaux déterminés non seulement par leurs limites physiques, mais encore par une langue, une culture, une approche commune du monde, une histoire, des préoccupations…, de sorte que chacun parle à peu près des mêmes choses avec les mêmes mots, que chacun fait à peu près les mêmes signes avec les mêmes gestes, bref tout ce qui concourt à l'existence d'une « communauté ». La notion de représentation sert à préciser cette communauté de vues entre acteurs de la communication : d'où cette seconde théorie.

 

 

2.       LA THEORIE DE LA PERCEPTION

 

PLATON distinguait « l'icône », qui est la copie ressemblante du réel, du « simulacre », qui est un phantasme dissemblant. Pour Gilles DELEUZE (1969), PLATON privilégierait la « représentation-copie ». Le retournement moderne va marquer le retour du simulacre dans ses deux dimensions : l'une inscrite dans l'altérité de la dissemblance, l'autre dans l'identité du Même, la copie, mais désormais le Même sera devenu une simulation, une recherche d'effet : le « faire vrai » qui caractérise les représentations du réel dans la communication de masse actuelle.

 

Alors qu'à l'ère classique la représentation devait se faire transparence au réel, la représentation moderne est constituée d'un ensemble de signes qui donnent accès au réel. « Le réel est construit » et la représentation « n'est plus l'analogon en pensée de l'objet », pour Sylvia OSTROWETSKY (1976, p. 335).

 

Ici le problème de la perception et de la représentation mentale rejoint celui de la représentation produite du réel en peinture, sculpture, images, etc. : est-ce une reproduction ou une production ?

 

Maurice MERLEAU-PONTY (1945) précisait bien que « comprendre, c'est toujours en dernière analyse construire, constituer, opérer actuellement la synthèse de l'objet » (p.490). Toute chose, du moment qu'elle est perçue, ne fait pas tant partie du monde extérieur à nous, offert à nos regards, que d'un monde dont nous possédons la mesure.

 

Une chose n'est donc pas effectivement donnée, dans la perception, elle est reprise intérieurement par nous, reconstituée et vécue par nous en tant qu'elle est liée à un monde dont nous portons avec nous les structures fondamentales et dont elle n'est qu'une des concrétions possibles. (p.377)

 

Et, dans le mouvement où l'homme cherche à reproduire pour autrui le réel qu'il perçoit, sans doute livre-t-il d'abord les cadres et les limites de sa propre perception, ou bien encore joue-t-il avec ces références-là pour livrer sa vision des choses.

 

OSTROWETSKY (1976) discerne dans les représentations modernes, en particulier de l'urbanisme, une nouveau type de représentation qui se donnerait pour le réel, mais un réel illusoire, moins reflet du monde que reflet de l'homme.

 

Alors qu'elle semble la copie visuelle du réel, elle (l’image) esquisse, à l'intérieur du procès de mise en représentation, un moment inverse, celui du passage de l'objectivité vers la subjectivité. Ce n’est plus le regard qui est objectivé cette fois, mais le spectateur et son inconscient… Avec nos images on parlera plus volontiers de dédoublement, dédoublement de l'espace dont une pellicule semble avoir été captée, dédoublement de l'individu dont l'inconscient semble situé de part et d'autre, devant et derrière, la surface d'inscription. (p.337)

 

Toutes les définitions de la représentation lient deux dimensions : production et reconstitution du réel, représentation à la fois de la chose et de quelqu’un, comme le remarque Serge MOSCOVICI (1961, p.26, p.62sq).

 

La représentation est liée à l'univers culturel du sujet ou du groupe : ce qui permet aux individus d'un même contexte social de se parler et de se comprendre. Aussi les représentations, dans leur aspect social, jouent-elles un rôle dans les groupes sociaux et exercent-elles une influence. René KAES parle de « processus d'organisation des rapports psycho-sociaux » (1976, p.32) et Serge MOSCOVICI de « processus de formation des conduites et d'orientation des communications sociales » (p. 76).

 

L'étude des représentations sociales de groupe, dans ses différentes modalités expressives (mythes, idéologies, romans, iconographies, expressions verbales, etc.) porte sur la transformation de l'expérience groupale et du vécu groupal  intrapsychique en un système social de représentation plus ou moins cohérent, mis en place à travers un langage, et dont une des fonctions majeures est de rendre intelligible un ordre de relation à un objet, d'établir à son propos une communication intersubjective. (KAES, 1976, p.31sq)

 

En résumé, la représentation d'objet est une activité du sujet qui perçoit; cette représentation dépend des conditions d'exercice de cette perception, non seulement physiques mais aussi sociales et culturelles.

 

 

THEORlE DE LA REPRESENTATION

 

1.       DEFINITIONS

 

La représentation vise à rendre présent un objet absent, à l'évoquer par des images et des sons. Le processus de la connaissance reconstruit cet objet par le biais des représentations présentes dans le contexte social. Il y a donc une double dimension de la connaissance : connaissance de l'objet représenté et connaissance des représentants de l'objet.

 

 

Jean LADRIERE donne deux sens au terme de représentation (in Encyclopoedia Universalis):

 

- un sens « diplomatique » : l’objet se fait représenter et demeure le centre d'intérêt (idée de « vicariance » ),

- un sens « théâtral » : le représentant de l'objet se donne à voir et occupe le devant de la scène (idée de « mise en présence »).

 

Ces deux sens sont liés dans la mesure où le représenté n’est perceptible qu’à travers son représentant, et que celui-ci n’a de crédibilité qu’en tant qu’il a reçu pouvoir de représentation.

 

KAES (1984) part des trois acceptions qu'utilise FREUD dans ses écrits pour définir la représentation :

 

- la représentation en tant que signification, contenu et forme de pensée, présence mentale d'un objet absent et perdu (« vorstellung »),

- la représentation en tant que figuration visuelle, mise en scène inscrite dans une stratégie du désir, de séduction et de domination (« darstellung »),

- la représentation en tant que délégation par mandat auprès d'une instance (« vorstellungrepräsentanz »).

 

Délaissant ce dernier aspect, il développe l'idée d'une « représentation inter-médiaire » assurant le lien entre la « représentation de mot » et la « représentation de chose », entre le concept et le percept, entre la dénomination et la vision.

 

Souvent l'aspect théâtral de la représentation échappe aux réflexions marquées par la métaphysique. Ainsi Christian DUQUOC (1979) écrit-il :

 

La représentation est double : d'abord symbolique : la représentation est l'image préconçue qui détermine l'interprétation des faits, ensuite elle est juridique : la représentation est la forme juridique selon laquelle un corps social se donne une image de lui-même au niveau des rapports sociaux qu'il instaure (p. 20).

 

Eric LANDOWSKI (1983) appelle cette dernière représentation « démocratique », en ce sens qu'elle repose sur un contrat par lequel quelqu'un donne à quelqu'un d'autre mandat pour le représenter. Les Théories de l'Information et de la Perception vont lui permettre de préciser deux autres aspects de la notion de représentation:

 

- la représentation « sociale » comme mode d'appréhension du réel. Les représentations sociales se forment à partir de représentations déjà existantes ; elles doivent être « analysées en tant que dispositifs ayant pour effet de construire le réel (comme monde signifiant) autant que de le « traduire » (p. 71). Elles servent à comprendre le sens des choses; elles sont un « processus de création de sens par décontruction/recontruction des univers signifiants propres aux milieux socioculturels considérés ? » (p.72).

 

- la représentation « théâtrale » comme mise en scène publique de la représentation. Elle relie l'émetteur au récepteur dans la compréhension de l'objet représenté : elle montre le type de relation qui existe ou pourrait exister entre acteurs de la représentation, entre acteurs et objet de représentation. Représenter dès lors serait maîtriser des effets de sens : « faire croire ».

 

 

2.       EXEMPLES

 

OSTROWETSKY montre dans ses travaux comment l'invention de la perspective dans la peinture de la Renaissance met en scène le dialogue entre spectateur et spectacle grâce au jeu du point de vue que l'auteur assigne au spectateur.

 

Louis MARIN (1981) explique comment dans le portrait du Roi Louis XIV est représentée la relation à l'absolu du pouvoir : sa figure fait face, elle domine, elle est là et personne n'échappe à son regard.

 

Ralph GIESEY (1987), à la suite de KANTOROWICZ (1957), décrit le rituel des funérailles du roi François 1er : alors que son cadavre est enfermé nu dans un cercueil, on expose aux regards ce que l'on nommait sa « représentation » revêtue des insignes du pouvoir. Le corps « mystique » apparaît quand le corps physique disparaît. Lorsque celui-ci sera enterré, le « corps mystique » redeviendra invisible en son successeur investi.

 

Michel LAGREE dresse les contours de la représentation du pape Pie IX à travers l'usage de son nom et de son portrait : « l'omniprésence du pape Pie IX, objet, de mandement de Carême en cantique, de brochure en image pieuse, d'une adulation polarisante, en fait un être transcendant, à mi-chemin du réel et de l'imaginaire, de l'humain et du divin » (1979, p. 167).

 

Pierre BOURDIEU (1984) analyse « à travers la manifestation, sorte de déploiement théâtral de la classe (ouvrière) en représentation » (p.12) la genèse et le fonctionnement de « la représentation par laquelle le représentant fait le groupe qui le fait » (p. 11). « Le mystère du ministère est un des cas de magie sociale où une chose ou une personne devient autre chose que ce qu'elle est, un homme (ministre, évêque, délégué, député, secrétaire général, etc.) pouvant s’identifier et être identifié à un ensemble d'hommes, le Peuple, les Travailleurs, etc. ou à une entité sociale, la Nation, l'Etat, l'Eglise, le Parti » (p.11).

 

Pierre LIEUTAGHI (1987), botaniste, analyse le recours aux remèdes naturels en terme de représentation. L'homme malade cherche dans la plante l'énergie vitale. « L'homme a vécu avec la planète-remède ; il y a mis une bonne partie de ses espoirs de guérison. La plante a tenu lieu d'intermédiaire entre les représentations du monde et celles du corps ».

 

La théâtralité de la représentation, sa mise en scène publique, est le support de la communication. Elle joue avec les représentations sociales du groupe : d'une part elle s'appuie sur elles pour définir sa dramaturgie, son esthétique…, d'autre part elle cherche à les modifier pour faire entrer le groupe dans son jeu. Notre propos se limite à la prise en considération des représentations sociales du groupe qui use de représentations sacramentaires, et s'intéresse, pour une part, plutôt à l'imaginaire social, aux représentations liées au contexte socio-culturel de la production sacramentaire.

 

 

3.       LA FIGURE

 

La représentation sacramentaire, dans son aspect théâtral, s'organise autour de figures concrètes. Par « figure », nous entendons un ensemble de traits distinctifs décrits par comparaison, qui acquiert une certaine autonomie dans un champ de représentations donné. Par exemple, la figure du Père comporte des caractères propres qui la distinguent d'autres figures du même champ des représentations familiales. Or la communication entre un émetteur et un récepteur quelconques n'est possible que s'il y a rencontre d'expériences similaires, ici celle de paternité, et suffisamment d'approfondissement pour parvenir à un schéma stable de compréhension de la réalité, ici la notion de parenté. Les figures incluent donc un élément d'intelligibilité du flux quotidien des faits.

 

Avec Michel TARDY nous pouvons définir les figures comme « des mixtes d'événements et de structures » (1981, p.115) par la « reprise sémiotique » d'expériences vécues selon la chaîne suivante :

 

événements --------- narrations --------- propositions

personne --------- personnage ------- concept

     histoire ------------ narration --------- structure

 

Aussi peut-on dire que le Christ fait figure de Fondateur (histoire de l'Eglise primitive + mythe de fondation) ou de Guide (expérience sociale + notion commune de direction), que l'Eucharistie prend la figure d'un Repas (expérience d'un type de repas + imaginaire lié au repas et à la nourriture), etc.

 

La communication suppose une harmonie entre les figures construites de l'instance émettrice et les figures construites des récepteurs : par exemple une entente sur ce qu'est un repas par-delà les différences historiques et culturelles.

 

Eliseo VERON (1986), analysant les stratégies du langage radiophonique, a complété le modèle de l'énonciation en incluant les diverses constructions d'images de l'émetteur, du récepteur et du monde (p.8) :

 

 

 

MESSAGE

l

 

 

EMETTEUR REEL ---

FIGURES

de l’Emetteur

--- SIGNIFIANTS ---

l

FIGURES

du Récepteur

--- RECEPTEUR REEL

 

 

FIGURES

du monde

 

 

 

 

l

MONDE REEL

 

 

 

Les représentations sont des constructions autour d’un noyau figuratif lié au code culturel commun d'une population donnée.

 

Une part de notre travail consiste à cerner les traits des figures des représentations sacramentaires, en les différenciant les uns des autres. Souvent les traits de figure sont peints à partir des seuls thèmes discursifs, comme s'ils étaient indépendants des conditions de leur mise en discours. L'environnement du texte, la répartition des rôles, le décor de la scène, la trame du scénario, etc., permettent de caractériser une représentation. Chaque figure est en effet produite dans un contexte particulier.

 

Pour étudier les représentations sacramentaires dans leur aspect théâtral, plusieurs champs d'exploration se présentent. Arbitrairement nous distinguons des indices littéraires (vocabulaire employé dans la pratique, ritualisée ou non), des indices plastiques (disposition des lieux, éléments décoratifs, objets…). La plupart des études sur la liturgie mettent en valeur ces multiples aspects de la célébration.

 

 

4.       FONCTIONS

 

Nous pouvons maintenant définir la représentation selon trois perspectives : cognitive, sociale et symbolique.

 

- Perspective cognitive

La représentation est un mode de compréhension du réel. Représenter la réalité, ce n'est pas simplement la reproduire par reflet sur l'écran de la mémoire, mais la reconstituer sur le registre mental.

 

- Perspective sociale

La représentation assure la communication à l'intérieur d'un groupe donné qui se réfère au même code culturel (pratiques, rites, idéologies, mythes, littérature…).

 

- Perspective symbolique

La représentation convoque l'imaginaire social pour que les individus du groupe voient dans son représentant l'objet représenté. La représentation en ce sens est oeuvre d'apprentissage socio-culturel.

 

Nous nous intéressons à la symbolique sociale des représentations sacramentaires et pouvons faire nôtres les définitions sociologiques suivantes.

 

La représentation sociale est un corpus organisé de connaissances et une des activités psychiques grâce auxquelles les hommes rendent la réalité physique et sociale intelligible, s'insèrent dans un groupe ou un rapport quotidien d'échanges, libèrent les pouvoirs de l'imagination. (MOSCOVICI, 1981, p.27-28)

 

La représentation sociale est un processus d'élaboration perceptive et mentale de la réalité qui transforme les objets sociaux (personnes, contextes, situations) en catégories symboliques (valeurs, croyances, idéologies) et leur confère un statut cognitif permettant d'appréhender les aspects de la vie ordinaire par un recadrage de nos propres conduites à l'intérieur des interactions sociales. (FISCHER, 1987, p.118)

 

Les représentations sociales constituent un mode de production de la réalité que réalise l’échange communicatif. (BEAUVOIS, 1988, p.6)

 

 

Malgré leur différence de point de vue, ces trois définitions montrent bien que la représentation est liée à la pratique sociale. Et c'est ce lien qu'il nous faut maintenant regarder de plus près.

 

 

 

 

LA PRAGMATIQUE DE LA REPRESENTATION

 

 

Les représentations sont liées au groupe et plus particulièrement à l'identité du groupe. Lorsque l'on cherche à définir une société, un groupe social, un ensemble d'individus, on commence par donner des caractéristiques d'âge, de profession, etc., mais ensuite l'on doit décrire des styles de vie, des comportements, des croyances, des modes de rassemblement, des mythes, etc.

 

La représentation joue dans le groupe le rôle d'intermédiaire : entre l'objet absent et les sujets parlants, entre les sujets interlocuteurs, entre les sujets et l'entité groupale même. « La représentation n'est pas autre chose que cette articulation, que ce lien de communication, que cette passe pour exprimer l'ineffable et l'invisible » (KAES, 1984, p. 393).

 

 

LES CONDITIONS DE PRODUCTION DES REPRESENTATIONS

 

Les représentations sont produites au sein des activités humaines, au cours de diverses pratiques.

 

1.       PRATIQUE SOCIALE

 

Nous entendons par "pratique sociale" un ensemble d'actes et de paroles qui répondent aux besoins d'individu ou de groupe d'individus, et opèrent une transformation. L'économie, le sport, l'art, la religion…, sont des pratiques qui transforment de la matière, des attitudes, des pensées…, au prix d'une énergie. Dans toute pratique humaine sont mises en jeu une ou des représentations du monde, de la société, de la personne. La pratique conditionne l'échange, la communication.

 

2.       COMMUNICATION

 

Nous entendons par là le fait que des individus, des groupes parviennent à agir ensemble dans le même sens, parce qu'ils réussissent à échanger de la matière, des idées, des gestes, des mots. La base de toute communication humaine est le langage ; c'est pourquoi les analyses du langage servent généralement à l'analyse de toute communication. La communication commence lorsque le lien est effectué entre la chose signifiée et son signifiant par un émetteur et par un récepteur : s'il y a similarité de décodage et d'encodage, le message passe, la communication est établie. Ce schéma, prévu à l'origine pour la transformation de la voix en fréquence électrique en vue du transport téléphonique de messages (SHANNON), peut être étendu à toute pratique sociale de communication.

 

La question est soulevée de l'équivalence des opérations d'émission et de réception : les locuteurs sont-ils sur la même « longueur d'ondes » ? entendent-ils les mêmes signifiés des mêmes signifiants ? Il y a des limites à l'équivocité des signes au-delà desquelles la communication s'épuise : entre l'univocité des signaux mathématiques ou routiers et la plurivocité des symboles une amplitude de sens est possible.

 

 

LES CONDITIONS DE PRODUCTION DES PRATIQUES

 

Si la représentation n'était que contenu de pensée, représentation mentale, l'analyse pragmatique se bornerait à l'étude de la pratique qui la met en jeu.

 

En tant que processus, la représentation conditionne les pratiques sociales en leur servant de toile de fond, en leur proposant un cadre. « La représentation contribue aux processus de formation des conduites et d'orientation de communications sociales » (MOSCOVICI, 1961, p.75). Cette fonction caractérise la représentation sociale.

 

En ce sens-là la représentation fait partie de la structure sociale puisqu'elle sert de « forme » aux comportements d'une société donnée. Les anthropologies cherchent à débusquer les représentations de telle population, représentations qui n'émergent pas immédiatement des pratiques. Les représentations, lorsqu'elles se donnent comme un ensemble cohérent et rationnel qui explique toute une société, constituent une idéologie.

 

Nous discernons une certaine circularité entre représentations et pratiques, une inter-action. Dans une optique particulière qu'il défend dans cet article, MAITRE (1972) explique que la représentation est en même temps produit social et condition de production.

 

Les pratiques sociales répondent d'abord à la nécessité d'une lutte commune contre la nature, mais se différencient en conflits dans lesquels les oppresseurs confisquent à leur profit la soumission de la population à l'égard des normes qui conditionnent la vie sociale ; dans ce processus, les hommes agissent devant les contraintes matérielles en fonction des représentations qu'ils ont de la réalité, et qui sont elles-mêmes des productions sociales (p.33).

 

Dans cette interaction la représentation porte signification, elle collecte le sens, elle prend sa dimension symbolique. Là est le lieu d'un travail possible sur la représentation.

 

 

LE TRAVAIL SUR LA REPRESENTATION

 

L'efficacité d'une pratique se mesure à divers critères : l'audience ou l'affluence, la persuasion ou l'influence, etc. Souvent la « réussite » des pratiques sociales vient de ce qu'elles ont mis en jeu la dimension symbolique des représentations d'un groupe ou de groupes sociaux définis, qu'elles ont "mobilisé" les énergies.

 

François André ISAMBERT (1979) appelle « efficacité symbolique » l'effet produit par une manipulation d'objets symboliques. « L'efficacité de l'opération est fonction d'une part du consensus créé autour des représentations, d'autre part du lien symbolique entre les représentations et les enjeux » de cette manipulation (p.84).

 

Pierre BOURDIEU (1982) note le pouvoir des rites d'institution « d'agir sur le réel en agissant sur la représentation du réel » (p.124).

 

MIEGE et DE LA HAYE (1976) concluent de leurs analyses de communications gouvernementales que « la caractéristique dominante de la communication publique serait donc finalement d'agir au niveau des représentations sociales et de permettre une modification rapide des composantes des discours publics » (p.218-219).

 

Le travail sur les représentations n'est pas qu'une activité intellectuelle qui opère sur des contenus de pensée, mais aussi un travail social sur le processus de production des représentations. Il suffit parfois du déplacement de quelques éléments d'une pratique pour que l'ensemble change de sens. Ainsi beaucoup d'études ont observé que le passage du latin aux langues vernaculaires dans la liturgie catholique a changé le rapport du fidèle à Dieu. Modifier les règles d'une pratique sociale, c'est en partie agir sur les représentations induites dans ces pratiques.

 

 

 

DECOURT, Georges, 1990, La Régulation théologique des pratiques liturgiques. L’orthopraxie liturgique, thèse de doctorat en théologie, Faculté de théologie de Lyon, pp.20-31