L’exclusion sociale et
économique
Les
phénomènes d’exclusion sociale accompagnent toutes les sociétés. Ils sont
marqués par les dominantes organisatrices des sociétés : exclusion religieuse,
exclusion idéologique, exclusion économique, etc. Dans les pays industrialisés,
où l’individu s’identifie par son appartenance à une profession, à une
entreprise, à un chantier, la perte de l’emploi marque un début de
désocialisation comme l’ont démontré de nombreux auteurs.
Théories de l’exclusion
Au
XIXème siècle, avec l’essor industriel, toute une classe sociale
était exclue du confort et de la richesse : c’étaient les « classes
pauvres et dangereuses », qui, aux dires de certains, perdurent dans la
conception de la société aux Etats-Unis (article de
WARQUANT dans Le Monde diplomatique, 1998).
Pourtant
d’autres approches de la misère ont été élaborées précisément dans ce pays au
début du XXème siècle et particulièrement lors de la crise de 1929.
Ces théories de l’exclusion restent en
arrière-plan des recherches postérieures sur le sujet.
Dans ces
théories on constate que l’exclusion est fortement liée à l’organisation de la
société et aux crises qu’elle traverse qui la désorganise :
immigration, récession, guerre, etc.
On peut
approcher les phénomènes d’exclusion à partir de théories des organisations qui
ont vu le jour à peut près à la même époque. Nous reprenons ces différentes
théories pour les appliquer à l’exclusion telle qu’elle est vécue en France,
l’analyse que l’on peut en faire et les dispositifs mis en place pour la
juguler.
Théories des organisations
Les types
idéaux
C’est Max WEBER qui a formalisés trois grands types
d’organisation sociale.
L'exclusion
s'exprime différemment dans chacune de ces formes d'organisation.
- Dans le
type « traditionnel », sont exclus ceux qui ne sont pas de la « famille
», n'ont pas « l'esprit de famille », ne sont pas de la commune... Les
revendications, s'il yen a, doivent s'exprimer par un « syndicat maison » qui
coopère à la réussite de l'entreprise, au règne de la famille qui la dirige, au
bien-être des membres de cette grande famille qu'est l'entreprise, à la
cohérence du pays.
- Dans le
type « charismatique », sont exclus ceux qui n'adhèrent pas aux idées et
aux manières de la diffuser du chef « charismatique » qui est
providentiellement là au bon moment pour le bien-être de tous.
- Dans le
type « légal rationnel », sont exclus ceux qui ne répondent pas aux
règles définies: ils n'ont pas la compétence requise pour le poste de travail,
les qualités pour accomplir la tâche selon le plan prévu, les documents
administratifs exigés pour travailler, etc.
Taylorisation
La
rationalisation de la production est due aux travaux de TAYLOR.
On
peut noter des phénomènes d’exclusion à plusieurs niveaux de cette forme
d’organisation des entreprises.
-
Des
ouvriers sont inadaptés aux postes de travail de l’entreprise car :
o
ils
manquent de formation,
o
ils
sont handicapés,
o
ils
ne suivent pas la cadence,
o
ils
cherchent une tâche réalisation de soi et non pas d’exécution de consignes.
-
Des
entreprises ont de la difficulté à rationaliser leur organisation :
o
entreprises
innovantes, où le travail n’est pas suffisamment stabilisé pour être étudié, où
l’investissement de soi domine est indispensable pour la conception des
projets,
o
entreprises
de services, dans lesquelles la relation à la clientèle modifie en permanence
le mode d’exécution des tâches, par exemple pour l’agent commercial ou le
personnel d’ accueil, dans le service public ou l’action sociale.
-
Cette
rationalisation permet de calculer le nombre d’ouvriers nécessaires à un
ensemble de tâches ; en conséquence, les personnels surnuméraires sont
licenciés pour « raisons économiques ».
Ecole
des relations humaines
MAYO a réagi à la taylorisation en s’intéressant
aux relations humaines, car, à ses yeux, la qualité des relations sociales et
la prise en compte des compétences est une meilleure source de productivité.
L’exploitation
des ressources de chacun demande l’investissement de chaque personne. Certains
peuvent se sentir exclus parce que :
-
ils
n’adhèrent pas aux objectifs assignés au groupe de travail, au projet
collectif,
-
ils
ne parviennent pas à coopérer avec les autres ou avec telles personnes.
C’est
pourquoi :
-
l’entreprise
doit faire un effort de communication pour convaincre ses salariés de l’intérêt
économique, social, environnemental…, d’un projet, ou de les attirer à elle
pour le réaliser, un effort pour « fédérer les compétences »,
-
la
« formation à l’emploi » porte sur l’apprentissage de la vie en
collectivité et des comportements nécessaires au travail en commun, ce que l’on
nomme souvent le « savoir-être » pour le distinguer du « savoir-faire ».
Théories
humanistes
Les
théories des besoins de MASLOW, LEBRET et
autres servent aux experts pour élaborer des plans de développement
économique d’une région, d’un pays ou d’un continent, et celles de la
motivation pour améliorer les performances des entreprises.
La
participation exigée au sein des entreprises ne rencontre pas toujours
l’adhésion des personnes. Si pour beaucoup le travail sert à se réaliser
soi-même, pour certains il n’est qu’un moyen de gagner sa vie sans
investissement personnel.
Lorsque
la participation va jusqu’à la prise de décision, comme dans les sociétés
coopératives, on voit s’opérer une distinction entre les coopérateurs amenés à
décider selon le principe « un homme, une voix » et les
non-coopérateurs qui ne dirigent pas l’entreprise mais exécutent les consignes.
Analyse
stratégique
Crozier a montré comment les différents
acteurs partie prenante d’une action commune avaient une stratégie individuelle
et comment la conjugaison des logiques d’acteur pouvait freiner ou au contraire
accélérer la réussite de l’entreprise.
Si
on considère une entreprise d’insertion comme un système concret
d’interactions, on peut distinguer les différents types d’acteurs sous divers
angles. Par exemple :
|
Objectifs
affichés |
Intérêts personnels |
stratégies
(interactions) |
Critères
de réussite |
Gestionnaires
bénévoles |
|
|
|
|
Cadres
professionnels |
|
|
|
|
Elèves
stagiaires |
|
|
|
|
Financeurs
public |
|
|
|
|
Agents
techniques salariés |
|
|
|
|
… |
|
|
|
|
En
sachant analyser la situation, comprendre les logiques en présence, des
convergences peuvent se dégager qui renforcent les coopérations.
L’ajustement
structurel
MINTZBERG a décrit plusieurs types d’organisation.
Il privilégie la gestion de projets, qui suppose la coopération souple des
acteurs, un « ajustement structurel », au sein d’unités constitués au
cas par cas (adhocratie).
Les
configurations esquissées par MINTZBERG se retrouvent dans le domaine de
l’insertion économique :
-
Entrepreneuriale, lors de la naissance des structures
d’insertion,
-
Missionnaire, dans les cercles qui partagent une
certaine culture sociale,
-
Bureaucratique, lorsque l’on commence à ériger des
dispositifs, de types d’organismes et de parcours individualisés,
-
Adhocratique, dans le montage de projet en partenariat
et leur suivi,
-
Professionnelle, précisément lorsque l’on valorise la
compétence des formateurs à travers un D.E.S.S. de directeur d’entreprise
d’insertion,
-
Politique, quand on constate des conflits d’idées, de
conceptions, de choix de société, etc.,
-
Divisionnelle, quand on organise ce secteur en fédérant
les structures d’insertion par exemple.
Les
constructions identitaires
SAINSAULIEU a montré comment les individus
se caractérisaient par leur travail, leur entreprise, etc., selon 5 types
d’organisation.
La
nécessité de ré-insertion sociale et économique vient des deux derniers types
de socialisation marqués par :
-
les
changements de métiers : métiers nouveaux, emplois nouveaux des
« emplois-jeunes »
-
la
tension entre
o
la
précarité des peu qualifiés pour lesquels il faut chercher des formations
adaptées à la fois à leur projet personnel et à la situation économique
o
et
la mobilité exigées des plus qualifiés pour lesquels il faut chercher un lieu
de travail correspondant à leurs qualifications.
On
peut tenter d’analyser la situation avec le tableau précédent.
Socialisation |
Appartenance |
Œuvre |
Trajectoire |
Affrontement |
en
Crise |
Structures
d’Insertion |
Mise
à Niveau |
Projet
de d’en sortir |
entre
emplois du marché et emplois
« aidés » |
Duale |
Accompagnement
Social Accompagnement professionnel |
Stagiaire Formateur |
Aller
à l’emploi |
entre
individus isolés et « Accompagnants »
qui tendent à les représenter |
La
théorie de la Traduction
LATOUR et CALLON ont étudié comment se construisaient
les coopérations entre des acteurs poursuivant leurs propres logiques et
comment elles pouvaient ou non réussir.
Les
politiques d’insertion ont pour objectif de (re)mettre au travail des personnes
exclues de l’emploi. En quelques décennies plusieurs politiques ont été mises
en œuvre.
La
réussite de politiques nouvelles suppose la coopération des différents acteurs
et l’enrichissement mutuel de leurs logiques propres :
-
logique
de rentabilité qui mesure le coût de la remise à l’emploi,
-
logique
de l’accompagnement social qui mesure le coût du temps de suivi des personnes,
-
logique
des parcours qui cherche à réduire la diversité des trajectoires individuelles
en les classant par types de parcours,
-
logique
macro-économique qui compare les coûts du plein emploi et celui des politiques
d’assistance (plans de retour à l’emploi, « contreparties demandées pour
les aides…).
De
la compréhension de l’exclusion des individus dépendent les formes d’insertion
mise en place par la collectivité. Les théories nous aident à analyser les
situations, les comprendre, pour élaborer quelques préconisations ou amorces de
solution des problèmes rencontrés.
La
science des organisations sert à optimiser l’organisation de l’entreprise que
l’on dirige en fonction des objectifs qu’on lui assigne. Dans le domaine de
l’insertion, l’entreprise est un lieu de production de biens ou services et un
lieu de socialisation à l’identique des autres entreprises. Elle s’en
différencie par la sélection des employés ou stagiaires. Dans une économie de
croissance, c’étaient les entreprises ordinaires qui se chargeaient de cette
socialisation, parfois plus difficile, de certaines personnes. Dans une
économie de concurrence sélective, la productivité demandée aux entreprises
leur interdit d’accueillir des personnes qui ne sont pas immédiatement
productives selon les critères exigés. Cette insertion dans la vie de
l’entreprise est externalisée et prise en charge, non plus par l’entreprise,
mais des dispositifs nationaux. Elle se fait au sein de structures spécifiques
avec ce paradoxe : l’entreprise d’insertion ne doit pas chercher à insérer
la personne au sein de l’entreprise qu’elle constitue mais au sein du monde du
travail vu comme entité anonyme, c’est-à-dire sans identité individuelle ou
sociale.
D’autres approches de solution de la désinsertion sociale consisteraient à inscrire les dispositifs d’insertion au cœur même des entreprises ou bien d’organiser de manière cohérente la mobilité des individus dans le monde du travail, avec des dispositifs de passage non pénalisant entre travail, formation, recherche d’emploi, etc., comme l’avaient imaginé certains experts, par exemple le « contrat d’activités » imaginé dans le rapport BOISSONAT de 1995, ou encore avec un revenu minimal comme le revenu d’existence qui ne dépendrait pas des aléas de la vie.
Tout
cela supposerait que le travail soit considéré comme l’un des identifiants
sociaux de l’individu, et non plus l’unique ou le dominant, et que la société
se pense autrement que sur le registre de la production et de la consommation.