DES RESEAUX TECHNIQUES OU DES RELATIONS HUMAINES ?

 

 

 

A ne plus se parler que par téléphone, à ne plus se voir que par télévision, à ne plus s'écrire que par ordinateur, ne va-t-on pas s'adresser qu'à des êtres virtuels ? Assécher les relations de tout sentiment ? Ne garder du travail en coopération que les contraintes de performance en supprimant la chaleur des contacts humains ? Les yeux rivés à son écran, l'oreille collée à son téléphone portable, ne devenons-nous pas les prothèses humaines de nos machines qui dialoguent entre elles ? Angoisse pour les uns, chance inouïe pour d'autres, abîme d'incertitude pour beaucoup !

 

 

Du bon, du moins bon, du nouveau

 

Parmi ces «nouveaux» moyens de communication, dont certains d'ailleurs ne sont nouveaux que depuis qu'ils sont accessibles au grand public, les plus répandus sont les suivants :

 

-         la messagerie électronique : une boîte à lettres «domiciliée» chez un «serveur» permet de dialoguer, au moyen d'un ordinateur connecté aux réseaux de télécommunication, avec toute personne possédant le même type d'adresse, de recevoir et d'envoyer du courrier et des documents ;

-         la messagerie vocale : une boîte à lettres conserve les messages transmis par téléphone et peut être consultée à tout moment ;

-         l'intranet : un réseau électronique interne à une entreprise ou à une firme permet la circulation des informations entre chaque ordinateur-poste de travail, où qu'il soit physiquement, l'accès permanent à des banques de données propres à l' entreprise, selon les règles établies par la hiérarchie ;

-         l'internet : une vaste «toile d'araignée» tissée de multiples connections entre ordinateurs par le biais de serveurs donne accès à chacun, à tout moment, à l'ensemble de données que chacun veut mettre à disposition, offre la possibilité de dialoguer avec toutes les unités, d'échanger des informations, des actes commerciaux ;

-         le télétravail : une possibilité de travailler à distance en connectant les ordinateurs entre eux, ceux de la maison mère avec celui du commercial de terrain, du cadre ou de la secrétaire à domicile; il économise des coûts d'occupation de bureau ou des déplacements. Il a des répercussions sur la vie privée et les modes de relation entre personnels d'une même entreprise ;

-         le groupware : ensemble des modalités de travail en groupe à distance par conférence téléphonique ou visioconférence (circuit de télévision) qui évite les déplacements, concentre la discussion sur l'objet de la réunion.

 

Chacun expérimente les avantages des nouveaux moyens de communication, avec cependant des écarts importants entre les pays du nord et ceux du sud. Aujourd'hui la moyenne mondiale est évaluée à un raccordement à internet pour 40 personnes, avec des différentiels importants: un accès pour 4 000 à 5 000 habitants en Afrique, un accès pour 4 habitants en Amérique du Nord et en Europe. Encore faut-il souligner que 600 000 des 700 000 abonnés africains résident en Afrique du Sud...

 

Si l'on s'en tient au cas des pays les plus développés, la circulation de l'information numérisée au sein des entreprises permet une augmentation des volumes d'échange, l'accès à certaines informations sans passer obligatoirement par la hiérarchie, la diminution des coûts (inutilité de certains déplacements, gain de temps...).

 

Cependant, qu'elle soit par intranet ou internet, cette circulation d'information n'est pas sans danger, et ce pour plusieurs raisons :

 

-         certaines informations ne sont pas archivées dans un lieu central en raison de la mobilité des postes de travail et des services de boîtes à lettres, et risquent ainsi de se perdre au sein de l'entreprise ;

-         la sauvegarde et la sécurisation de ces informations ne sont pas toujours respectées et il y a risque de disparition du patrimoine de l'entreprise ;

-         la quantité d'informations reçues risque de submerger les informations les plus importantes (il n'est pas rare qu'on signale à un collègue par un message écrit qu'on lui a transmis tel message électronique).

 

Ces innovations entraînent à la longue un autre fonctionnement interne de l'entreprise.

 

-         Du côté des personnels : l'informatisation permet plus d'autonomie dans les postes de travail et donc plus de responsabilité. Elle évite parfois la mobilité géographique : certains peuvent travailler à distance des sites de l'entreprise. Des personnes à mobilité réduite ou souffrant de graves handicaps moteurs ont la possibilité désormais d'occuper des postes de travail à domicile, reliés par ordinateur à une entreprise ou à des clients.

-         Du côté des managers : ils sont amenés à gérer davantage les compétences que les emplois du temps des personnels. Leur pouvoir de «maître du temps» s'en trouve modifié : il se transforme en capacité d'aider, soutenir, susciter..., et non plus de donner des ordres.

 

Ne plus perdre de temps dans les déplacements ou des réunions sans fin, aller à l'essentiel, concentrer l'attention sur le travail en réduisant les distractions, alléger les aires de stockage de documents, en finir avec les rapports sur papier, accélérer les processus... Compétitivité, productivité, qualité : voilà les objectifs que l'informatisation vise à atteindre.

 

Or, les documents écrits n'ont pas disparu pour autant : doublons des documents numérisés, commentaires et consignes... Les messages électroniques s'accompagnent de plaisanteries, de clins d’oeil, de codes.

 

Des rencontres sont organisées pour sceller des ententes de travail, «humaniser» les relations. Du temps «perdu» en contacts, échanges sans objet, activités d'équipe, vient s'ajouter au temps «performant» pour en améliorer la performance ! Paradoxe ? C'est la contrepartie de la technicisation de rapports de travail, la condition d'efficacité du travail coopératif. A l'oublier on risque de détruire l'ambiance de travail, la motivation des personnes, et à terme la performance de l'entreprise.

 

 

Au détriment de la responsabilité ?

 

Plus il y a de facilités de communication, plus il y a d'informations disponibles, et plus il y a des choix à faire que ne dictent pas les outils : sélectionner l'utile et le meilleur dans la masse des informations, instaurer des priorités dans le travail, fixer des règles de partage entre vie privée et vie professionnelle... Il est fait appel au jugement de chacun, à sa capacité de décider, à la responsabilité de ses actes.

 

Ces nouvelles organisations du travail «mettent la pression» sur l'individu (trouver la bonne information, répondre aux demandes des uns et des autres, finir sa tâche pour le travail d'équipe...) sans que celui-ci ait toujours la capacité de la supporter. Pour ne pas être asservi par ces nouveaux moyens de communication, noyé par un déluge de nouvelles, essoufflé par la vitesse des processus, paralysé devant les choix à faire, l'individu est invité à devenir davantage «entrepreneur», dans sa propre tâche, qu' «employé».

 

Des questions se posent : a-t-il réellement le désir et la force de le devenir ? L'entreprise est-elle réellement organisée pour que chacun soit effectivement responsable et gagne à l'être ? Les réponses sont diverses : elles relèvent tout à la fois de l'éthique de chacun et de l'éthique de l'entreprise.

 

 

Georges DECOURT

Chargé d’études, Economie et Humanisme

Economie et Humanisme, n° 348, avril 1999

Dossier « Etre cadre dans une économie mondialisée », Institut Polytechnique de Lyon