MENACES SUR LA VILLE

 

 

 

 

 

 

Il est très difficile d'identifier des menaces précises sur la ville. Tout dépend de ce que l'on entend par ville et tout dépend de ce que les individus et les groupes ressentent à un moment donné comme menaces.

 

Généralement aujourd'hui on dit que la ville menace les liens sociaux et, en conséquence, que la civilisation urbaine est menacée. Il reste à démontrer que c'est une menace nouvelle et réelle.

 

 

 

1- QU'EST-CE QUE LA VILLE ?

 

 

Je vais procéder par oppositions. J'en ai choisi quatre.

 

 

1.1- UNE JUXTAPOSITION DE COHÉSIONS SOCIALES ET UN CARREFOUR D'ÉCHANGES

 

Deux conceptions de la ville dans cette première opposition.

 

L'une où la ville est une agglomération de quartiers homogènes,

L'autre où la ville est une organisation vivante avec diverses fonctions.

 

 

1.1.1- La ville est une agglomération de quartiers homogènes

 

Il y a des quartiers en ville différenciés par le style de l'habitat, le revenu des habitants, etc. Les populations sont censées y être homogènes.

 

En France, homogène voudrait plutôt dire faisant partie de la même classe de revenus : les beaux quartiers et les bas-quartiers de la ville, la ville-haute et la ville-basse.

Dans les pays anglo-saxons, homogène voudrait plutôt dire de la même communauté ethnique (quartier noir, quartier portoricain. quartier mexicain, etc.).

 

C'est tout le débat actuel en France sur l'intégration. En France, on ne passe pas par les responsables de communautés ethniques pour réguler les différences entre les gens, pour faire l'ordre public. Tous les gens sont libres et égaux en droit. On est un pays basé sur les droits des individus, de la personne. Tout le monde est soumis au même droit commun. Dans d'autres pays, les communautés ethniques ont une organisation propre, un mode de représentation dont les pouvoirs publics tiennent compte pour assurer l'ordre public.

 

 

Questions :

- faut-il laisser s'organiser les quartiers par communautés ethniques, au risque de laisser s'établir des lois particulières, des droits particuliers issus de coutumes étrangères ?

 

- faut-il organiser la mixité sociale au sein des quartiers, au risque de multiplier les raisons et les lieux de conflit éventuel ?

 

 

1.1.2- La ville est une organisation vivante avec diverses fonctions

 

Mais on peut dire aussi que la ville est un organisme vivant avec des fonctions, une organisation fonctionnelle : ici on dort, là on travaille, ici on va au cinéma et au restaurant, là on fait ses courses. Entre ces fonctions vitales, existent des réseaux de communication qui organisent les flux: réseau d'information (journaux, téléphone, télématique, etc.), réseaux de transport (voirie, bus, métro, etc.). On dit de la ville qu'elle a un coeur, des artères de circulation, un ventre (les halles), des poumons (les parcs paysagers), un cerveau (les centres de commandement), etc.

 

 

 

1.2- UNE CHANCE POUR L'INDIVIDU ET UNE ACCUMULATION DE SOLITUDES

 

 

1.2.1- La ville une chance pour l’individu

 

La ville une chance pour celui qui quitte sa campagne et vient gagner sa vie, réussir sa vie en ville, car les emplois et la richesse se trouvent là.

 

L'Afrique vit aujourd'hui avec cette représentation de la ville, lieu de richesse par rapport à la misère des campagnes. La France a connu cela jusque dans les années 50.

 

En ville, on est libre de ses mouvements. Il y a moins de contrôle social de la part de la famille, du voisinage, des institutions'comme la religion. On peut y mener sa vie à sa guise.

 

 

1.2.2- La ville est accumulation de solitudes

 

La ville est dans le même temps le lieu de toutes les solitudes.

 

Quelques chiffres approximatifs. La proportion de logements occupés par un ménage composé d'une personne seule est :

 

dans

de

les communes rurales

20 % environ

les communes de moins de 20 000 habitants

20 % environ

les communes de 20 000 à 100 000 habitants

25 % environ

les communes de plus de 100 000 habitants

30 % environ

la commune de Lyon intra muros

45 % environ

la commune de Paris intra muros

50 %  environ

 

 

La ville, c'est la liberté individuelle qui a gagné sur l'esprit de clan.

La ville, c'est l'individu sans attache.

 

 

 

1.3- UN TERRAIN DE COMPÉTITION ET UN LIEU CONVIVIAL

 

 

1.3.1- La ville est un terrain de compétition

 

La ville est un endroit où il y a de la concurrence, de l'émulation. Le dynamisme y est plus grand que dans les sociétés stables où chacun a sa place, son emploi, son rôle, bien définis. En ville on peut changer :

- changer de métier (l'offre y est plus importante que dans l'organisation rurale),

- changer de commerçant (si l'on n'est pas satisfait),

- changer d'habitat,

- changer de conjoint aussi...

 

 

1.3.2- La ville est un lieu convivial

 

Mais la ville est aussi un lieu où la compétition n'empêche pas des liens de convivialité, car les possibilités de tisser des liens sont nombreuses : en raison de la densité de l'habitat, du nombre de personnes travaillant dans une même entreprise, de l'affluence dans les lieux publics, etc.

 

Contradictions là encore entre les possibilités de socialisation : vers plus de rencontres et vers plus de combats, vers plus de liens sociaux et vers plus de ruptures de ces liens.

 

Vivre ensemble en ville mais dans la concurrence : d'où la nécessité d'organiser cette vie collective avec des règles communément admises.

 

 

 

1.4- DES FACILITÉS D'EXISTENCE ET UNE SOMME D'EMBARRAS

 

 

1.4.1- La ville offre des facilités d’existence

 

La ville offre des facilités d'existence en raison même du nombre de personnes qui crée un marché disponible: d'où de nombreux services (transports, commerces, administrations, etc.).

 

 

1.4.2- La ville est une somme d’embarras

 

Mais dans le même temps où elle simplifie la vie, la ville crée des inconvénients : les "embarras de Paris"... Nuisances sonores, embouteillages dans les rues et les grandes surfaces, risques liés à la foule (vol, dégradation, hystérie collective) ...

 

En somme, la ville peut être ressentie comme avantage et inconvénient.

 

Exemple :

Une enquête a été menée auprès des ménages qui ont fait construire dans la proche campagne de l'agglomération lyonnaise. Ce sont des maisons individuelles en lotissement. Les gens ont choisi ce mode vie pour jouir de la campagne, ou plus précisément de la représentation qu'ils se font de la vie à la campagne : une campagne sans nuisances sonores (ils ne veulent pas de coq qui chante à 4 heures du matin), avec des chemins praticables (par tous les temps et tous les jours), des services de proximité, des moyens de transport, et si possible pas trop de constructions... sauf les leurs. Les premières associations créées dans ces lotissements sont celle du tennis (signe de promotion sociale) et celle de défense du site (contre d'autres implantations). Ils auraient, disent-ils, volontiers fait construire leur villa en ville, s'ils avaient pu. Ils cherchent donc à cumuler les avantages de la ville et de la campagne, tout en en minimisant les inconvénients.

 

 

 

2. QUELLES MENACES ?

 

 

Aujourd'hui, certains disent que les avantages de la ville seraient moindres que les inconvénients qu'elle engendre. Ce qu'on avait gagné à vivre en ville est en train de s'estomper : ce qu'on nomme la civilisation urbaine ou l'"urbanité".

 

 

2.1- L'URBANITÉ DE LA VILLE

 

 

Qu'entend-on par "urbanité", c'est-à-dire la qualité li~e à la ville (ville se dit "urbs" en latin) ?

 

Les auteurs s'accordent pour dire qu'il s'agit d'un mode de vie qui découle de la fréquentation de la ville, où il y a beaucoup de monde dans les entreprises, les commerces, le voisinage, les lieux de loisirs, les lieux publics. Et pour éviter les sources de conflit dus à cette promiscuité, on a su inventer des codes de bonne conduite, des codes du "vivre ensemble" en ville :

 

- Codes au sein des entreprises : sens hiérarchique, travail en équipe, représentation des intérêts des uns et des autres.

- Codes dans les échanges commerciaux : les prix sont indiqués et n'ont pas besoin d'être discutés (mais cela change), les horaires d'ouverture sont affichés et on n'importune pas le commerçant (mais l'épicier arabe reste ouvert quand les autres commerces sont fermés).

- Codes de bon voisinage : chaque immeuble a son règlement.

- Codes dans les lieux de loisirs : on s'inscrit, on attend son tour pour entrer au cinéma.

- Code de la rue : pour conduire son auto, pour les priorités entre piétons, cyclistes, transports en commun et voitures individuelles.

 

L'urbanité est le résultat de cet ensemble de règles sociales qui est fait de respect d'autrui, de coopération, pour parvenir à vivre ensemble. L'adjectif "urbain" signifie être poli. "Vous êtes bien urbain", disait-on autrefois.

 

Mais, dans le même temps où on regrette la diminution de cette urbanité, on attribue les vertus de cette urbanité, non pas au mode de vie en ville mais au mode de vie à la campagne. La vie à la campagne fait rêver les citadins, car elle aurait été l'endroit où on se connaît, se respecte, collabore, quelque soit son métier, sa richesse, son âge, sa situation sociale. La vie à la campagne rendrait les gens plus "cools", plus polis, plus "urbains". Voilà bien un paradoxe.

 

Vous voyez, nous vivons largement sur des représentations fabriquées, qui parfois ont peu de réalité historique. Le mode vie rural rythmé par les saisons et les travaux des champs n'est pas précisément celui que l’on adopte lorsque l'on va habiter à la campagne pour aller travailler en ville. On voudrait ne garder de l'urbanité que les avantages (et on appelle ces avantages "la vie à la campagne"} et rejeter les inconvénients (et on les appelle "la vie en ville"}.

 

 

2.2- L'URBANITÉ MENACÉE

 

 

Aujourd'hui donc, on dit que cette urbanité est menacée par la ville elle-même. Ce que la vie en ville a créé est en train de se détériorer. Plusieurs réalités le montreraient. J'en cite trois parmi d'autres.

 

le réveil des rivalités

 

Des rivalités et des violences explosent ou sont diffuses, que l'on croyait réservées à l'"arrière-pays", aux endroits les plus reculés des campagnes, comme on dit. Certains parlent de retour de la barbarie : ce sont les "rustres" qui reviennent, ou les bas-fonds de la ville moyen-âgeuse qui ressortent.

 

On défend son territoire en ville comme on défendait les limites de son champ autrefois. Les querelles de bornage se retrouvent dans les immeubles ou la rue (pensez aux querelles de place de parking}.

 

le développement d'espaces d'exclusion

 

+ Ainsi des quartiers entiers existent d'où l'on ne sort pas, car on n'a pas d'endroit où aller, pas de raisons d'en sortir : les "ghettos" et la "ghettoïsation". Et quand des jeunes en sortent, ce n'est pas pour le travail, c'est en bande sans but précis. Et leur malaise dans cet "autre" monde se traduit souvent en comportements provoquants. Et, pour les mêmes raisons, quand un "étranger" à leur quartier arrive, on s'en défend et on l'agresse.

 

Exemple :

Dans un Centre social, où j'enquêtais, on me cite le cas d'une personne, habitante du quartier depuis sa création, qui, à la retraite, vient proposer ses services. Les jeunes lui ont demandé ce qu'elle venait faire chez eux.

 

+ Mais il y a aussi des quartiers où l'on n'entre pas, où l'on se protège des autres, des quartiers réservés à quelques privilèges : ce qu'on nomme la "gentrisation" des beaux quartiers. "Gentry" signifie la noblesse titrée anglaise. Ce sont des gens qui ont toute facilité pour aller où ils veulent. Mais ils ne veulent pas qu'on vienne chez eux.

 

Exemple :

A Los Angeles, certains quartiers résidentiels sont interdits aux étrangers, c'est-à-dire aux non-résidents. Les rues d'accès sont barrées et le trafic filtré par des gardiens, des vigiles. D'ailleurs nos codes d'accès d'immeuble n'ont-ils pas cette fonction d'interdire le colportage et les importuns, de faire en sorte que l'immeuble soit bien fréquenté, c'est-à-dire par moi et mes semblables ?

 

 

l'abandon de citoyenneté

 

Là je vais un peu caricaturer la situation pour mieux me faire comprendre. L'habitant des villes, le citadin, qui s'était donné des codes de bonne conduite collective, a, semble-t-il, perdu tout rôle actif dans la vie sociale urbaine : on ne se surveille plus, on ne s'entraide plus, on ne respecte plus rien... Et, pour faire assurer le respect, par tous, de ces codes communs, on s'en décharge sur les autres. Nous demandons de plus en plus à des forces de police, c'est-à-dire des agents de ville comme dit le mot "police" (en grec ville se dit : "polis"), de protéger nos libertés individuelles contre celles des autres.

 

Le citadin n'est plus citoyen. Il a confié ses droits à d'autres, et pour cela il exerce son droit de vote, mais il semble s'en désintéresser de plus en plus, nous disent les sondages d'opinion (cela reste à vérifier). Et il a confié ses devoirs à d'autres personnes qu'il paie, et pour cela il a le devoir de payer ses impôts, mais il critique.

 

Aujourd'hui les citoyens, que nous sommes, cherchent-ils à construire des liens sociaux ? Nous demandons aux Pouvoirs publics de la cité de faire respecter les codes sociaux, vidés de leur sens "urbain" : leur sens était de faire vivre ensemble de nombreuses personnes dans un même lieu grâce au concours de chacun.

 

Exemple :

On appelle la police pour régler des problèmes de voisinage. On reste muet devant une agression dans le métro. Et pendant ce temps, certains inventent de nouvelles règles, de nouveaux codes - en dehors du Droit commun - et font régner leur loi : celle des vendeurs de drogue dans les banlieues, celle des passe-droit dans le monde des affaires.

 

 

 

3- LA VILLE COMME MENACE

 

 

La ville devient ainsi une menace : menace sur la société et menace sur l'individu.

 

 

3.1- MENACE SUR L'ORDRE SOCIAL

 

 

En effet, le problème s'aggrave quand de plus en plus de personnes perdent leur place dans cette société ou bien changent de place. Il y a une fracture sociale, dit-on. Et les Pouvoirs publics habitués à assurer le bon ordre social sont démunis de moyens et de pouvoir pour réparer un ordre social cassé.

 

L'ordre social de cette civilisation urbaine reposait sur une échelle sociale, avec un haut et un bas et une possibilité offerte aux individus de montée (car nous ne sommes pas dans une société féodale). On peut monter socialement : de niveaux en niveaux, de classe en classe. On peut aussi déchoir.

 

Mais aujourd'hui, on constate qu'il y a des gens qui sont toujours dans ce circuit-Ià et d'autres qui sont hors-circuit : il y a; comme disent les sociologues, ceux qui sont "in" et ceux qui sont "out". Aussi l'ordre social est-il menacé.

 

C’est cela I’exclusion.

 

Ce n'est pas l'exploitation des gens d'en-bas par les gens d'en-haut, avec des conflits de classe. L'exclusion, c'est la mise en dehors de la société d'individus dont la société n'a pas besoin pour vivre. Leur force de travail n'est pas exploitée, pas exploitée du tout. On ne les utilise pas. Ils sont inutiles socialement. Certains de ces exclus sont d'ailleurs prêts à tout pour être utiles, même à être socialement exploités. D'où les tensions actuelles entre ceux qui ont un emploi et défendent leurs droits acquis et ceux qui n'ont ni travail ni droits liés au travail.

 

 

3.2- MENACE SUR L'INDIVIDU

 

 

La ville devient une menace pour les individus. On risque de perdre sa place dans cette société et d'être mis dehors.

 

Risque de perdre sa tranquillité (les nuisances), de perdre ses biens (le vol), de perdre sa famille (le divorce, la séparation de ses enfants), de perdre son emploi (le chômage), de perdre son logement (parce que l'on change d'emploi, ou que l'on perd ses revenus).

 

Des citadins ont perdu leurs repères sociaux anciens, quand d'autres citadins n'ont jamais acquis ces repères : je pense aux jeunes, la deuxième génération d'immigrés, qui n'ont comme territoire d'attache, comme "patrie", que leur lieu d'habitation (leur banlieue, et dans la banlieue leur quartier qui leur sert et de famille et d'ancêtre et de lieu de vie).

 

Exemples :

 

+ A Villeurbanne, en 1978, la décision est prise de fermer des immeubles dans un quartier difficile. On a déplacé des gens. Certains des jeunes immigrés déplacés, qui n'avaient comme attache que ce quartier, se retrouvent aujourd'hui dans un autre quartier de la ville, avec des logements plus spacieux, des commerces au pied des tours, des écoles maternelle, primaire et secondaire, des pelouses et un vaste parc urbain à proximité, etc. Tout pour bien y vivre. Or ce quartier connaît des violences : le Centre social a du être fermé, les professeurs se sont mis en grève. Dans les enquêtes, certains de ces jeunes disent : "Pourquoi nous a-t-on chassés de notre quartier ? On y était bien."

On les a déplacés et ils ont perdu les maigres repères sociaux qu'ils avaient : un territoire. Mais ce territoire développait un ordre étranger à la loi commune, c'était une source de désordre social. Peut-être faut-il laisser le temps à ces jeunes de se reconstruire des repères sociaux, mais avec quoi ? l’école ? le travail ? et à quel prix pour eux et pour la société ?

 

+ L'édition Rhône-Alpes du journal "Le Monde" du 07/01/95 rapporte les réflexions d'un juge pour enfants : " J'ai le souvenir d'un gamin d'une quinzaine d'années qui, au bout de plusieurs années, avait réussi à se sortir de sa toxicomanie et de sa délinquance. Je l'avais reçu dans mon bureau et j'avais été frappé de voir qu'il avait l'air triste. Je lui avais demandé pourquoi et il m'avait répondu : je ne me drogue plus, je ne casse plus de voitures mais je n'ai plus de copains. Dans le quartier, il n'était plus rien et en dehors il n'était plus qu'un arabe".

Ce jeune avait des repères sociaux, une insertion sociale, des liens sociaux, mais dans un réseau qui, en regard du droit commun français, fabriquait du désordre social. Ce jeune était "out" de la société civilisée française et "in" dans la société de son quartier, dans sa bande. Remis dans le droit chemin, civilisé, "correct", il perd sa situation de jeune inséré localement et ne gagne pas en échange sa place dans la société française à laquelle il se conforme. Il est "out" de cette société et "out" de son territoire. A quel prix a-t-il renoncé à sa délinquance ?

 

Le problème de l'exclusion et de la ré-insertion ne se résout donc pas par des recettes miracles, sinon on en aurait déjà trouvé la solution.

 

Dans ce contexte social, des catégories de personnes vont tout faire pour se protéger des risques de perdre leur identité, de perdre leur place dans cette société, se protéger de la précarisation et des populations en situation précaire : la "gentrisation" des beaux quartiers, la sur-assurance et la forte épargne de certains, la concurrence sauvage et non plus civilisée, la défense des avantages acquis, le refus des différences...

 

Pendant ce temps, d'autres n'ont aucune protection contre ces menaces : ils sont assurés au minimum (certains n'ont même plus d'assurance-maladie), ils sont exclus du circuit de l'utilité sociale, relégués dans le chômage ou des modes de vie précaire, reclus dans une situation fermée sans issue, reclus dans la "marge" de la société. C'est ce qu'on appelle la société "duale".

 

 

 

En conclusion

 

Le problème n'est pas tant de recoller les morceaux. Recoller les morceaux, c'est par exemple mener des politiques "sectorielles" : de l'habitat, des transports publics, de l'insertion par l'économique, de l'accès à la culture, de l'école, de l'assistance sociale, etc.

 

Il conviendrait plutôt, comme l'ont souligné beaucoup d'auteurs, d'inventer ce que l'on nomme une "citoyenneté" ou une "nouvelle citoyenneté", où chacun ne se décharge pas de ses propres responsabilités sur des institutions auxquelles il délègue ses droits et ses devoirs.

 

Réinventer de nouveaux codes du vivre ensemble.

 

Exemples :

 

+ A Economie & Humanisme, nous avons étudié la question de la téléassistance des personnes Agées. On a inventé, pour réduire les risques que ces personnes âgées courent à rester seules chez elles, un procédé technique d'appel à distance. Un standard répond 24 heures sur 24. Mais des personnes âgées ne le branchent pas, ou craignent de s'en servir pour diverses raisons (entre autres la peur de devoir être hospitalisées). Pour répondre à une situation (l'isolement) et à une demande des personnes âgées (être secourues), on a inventé un outil, alors que la demande implicite était de ne pas être abandonné, d'avoir un environnement social proche. Donc pas simplement des dispositifs d'assistance technique, mais des codes du "vivre ensemble" entre générations en ville. L'unité de base du logement en ville est généralement d'un ménage par logement, et donc exclut la cohabitation entre générations.

 

+ Les services du Préfet de la Région Rhône-Alpes nous ont demandé, à Economie & Humanisme, d'organiser un groupe de travail qui réunissent des responsables d'associations intermédiaires, des entreprises d'insertion, des DRH d'entreprises ordinaires, des fonctionnaires de la Direction du Travail, etc., pour élaborer ensemble des règles communes pour l'insertion par l'emploi des gens mis "out". Cela suppose une réorganisation des postes de travail au sein des entreprises pour dégager des emplois, des conventions pour ne pas désorganiser le marché avec les subventions accordées à des entreprises d'insertion, etc.

Réinventer des codes de bonne conduite entre agents économiques et pas simplement des dispositifs d'assistance.

 

+ Nous avons aussi constaté, dans un travail sur les Centres sociaux, que le système des Contrats de Ville a l'avantage de créer une concertation entre financeurs (services de l'Etat, Conseil Général, Commune), mais écarte les associations, que l'on veut rendre plus responsables dans l'usage des fonds publics ; de tout le circuit de décision.

Réinventer des codes de gestion des fonds publics, des codes de relation entre pouvoir démocratique par représentation (le pouvoir politique) et pouvoir démocratique par association.

 

 

Inventer les nouveaux codes du vivre ensemble dans nos cités. Cela exige un "sens commun", une volonté de vivre ensemble. C'est peut-être ce qui manque aujourd'hui ou, du moins, ce qui reste à vérifier.

 

 

 

 

DECOURT Georges

Colloque Voir la ville autrement, Habitat & Humanisme

Nice, 14 janvier 1995